Transcription du texte
Depuis quarante ans environ, notre Société a bénéficié de ses relations amicales avec la famille De Champeaux (voir l’épisode de la croix de Villemomble dans l’encadré). “Bénéficié” aussi par le prêt de nombreuses œuvres sur la Région dessinées ou peintes par Mr Bertrand de Champeaux, oeuvres qui servirent à embellir des expositions, à illustrer des articles. Nous avons donc pensé qu ‘il était normal et nécessaire d’imprimer les quelques souvenirs qui suivent.
C’est son fils ainé, M.René de Champeaux, qui a bien voulu acquiescer à notre demande. Nous l’en remercions.
JJAB
Ses parents :
Jacques Françoi René de Champeaux, né le 28 août 1844 à Paris, décédé le 23 décembre 1913 à Villefranche-sur-Mer, était avocat.
Hélène Juliette Victoire Joseph Caulliez, née en 1857, décédée le 26 avril 1926 à Paris. Mariés le 11 octobre 1880. Ils vivaient à Paris mais achetèrent une maison avec terrain de 2160 m2 à Villemomble, 8, allée Duportal, en 1884, ce qui faisait partie du lotissement des bois royaux. Cette maison était une résidence d’été, néanmoins, René de Champeaux se fit inscrire sur la liste éléctorale de Villemomble en 1888. Ils eurent 4 enfants :
Raoul (1882 – 1969) né et mort à Paris, fut violoniste.
Bertrand (1885 – 1962), né à Paris, mort à Villemomble.
Hélène (1891 – 1919), née et morte à Paris (tuberculose suite aux privations de la guerre).
René (4 juin 1896 – 13 juillet 1916), né à Villemomble mort pour la France à Verdun.
Raoul et Bertrand firent Jeurs études au collège de Juilly (Seine-et-Marne). Leurs parents étaient installés à Villemomble et mon grand-père se rendait chaque jour à Paris par le train qu’il prenait à la halte des Coquetiers. Il y avait peu de voyageurs et le train ne s’arrêtait que s’il y avait quelqu’un sur le quai. Quand il faisait nuit les matins d’hiver, il fallait faire signe au mécanicien en masquant alternativement la lumière de l’éclairage du quai avec son chapeau.
Pour la vie de tous les jours, les commerçants passaient. Le centre de Villemomble était loin des Coquetiers. Pour se rendre à la messe le dimanche à Saint Louis, mes grands-parents louaient une voiture à cheval qui devait l’hiver affronter la boue du mauvais chemin. En 1893, il était plus facile d’aller à la messe à Paris par le train, l’église Saint-Laurent étant proche de la gare de l’Est.
Ma grand’mère était originaire de Tourcoing. Ses sœurs, plus âgées qu’elle, étaient mariées à des industriels du textile ou des négociants en laine. Bertrand allait souvent faire des séjours chez ses tantes à Tourcoing ou même en Belgique où l’une d’entre elles avait une maison à Blankenberghe. Cela lui donna l’idée d’entrer dans une école des filatures . Il n’y resta que peu de temps se rendant compte que les places intéressantes dans cette branche étaient déjà prises ou réservées pour des membres de la famille.
Je ne sais pas ce qui l’orienta vers le dessin et la peinture. Il se forma dans les ‘académies’ du quartier Montparnasse à Paris pour acquérir la pratique du dessin . Peut-être aussi l’école des Beaux-Arts. Il se lança lui-même dans l’aquarelle puis dans la peinture à l’huile.
Il eut un emploi chez un marchand de tableaux – mais n’y resta pas – son père écrivit à ce patron pour se plaindre du faible salaire de son fils.
Il fit de nombreux paysages des environs de Villemomble, du Raincy, Coubron, Montfermeil, Chelles, Bondy. La bicyclette était son moyen de transport. Il exposa plusieurs fois au Salon à Paris. Mes grands-parents avaient pris l’habitude en 1908 de se rendre chaque hiver quelques mois à Villefranche-sur-Mer dans un appartement qu’ils louaient. Bertrand les y accompagnait et fit de nombreuses aquarelles de la région.
Il s’intéressait aussi à la photographie et était un des rares amateurs de l’époque.
Villefranche abritait dans sa rade des navires de guerre.
Les petits chemins de fer de Provence qui desservaient toute la région, lui permirrent de visiter les jolis villages qui entourent Nice, Bar-sur- Loup, Saint-Jeannet.
En février 1911, son jeune frère René, alors pensionnaire au collège Saint François de Sales d’Evreux, lui écrivait pour lui demander s’il était satisfait de sa peinture, s’il allait exposer au Salon, irait-il dans le Midi?
12 janvier 1912, sa mère invite Bertrand à venir rejoindre ses parents à Villefranche pour peindre des paysages et faire un portrait d’une amie.
Bertrand fit son service militaire au camp de Mourmelon près de Châlons-sur Marne: dans le Génie. Quand arriva la guerre en 1914, il ne fut pas dans les premiers a être mobilisé ; étant myope, il n’était pas dans le service armé.
Quelques temps après, il fut appelé au service de Santé et affecté au secours des blessés comme brancardier secouriste – il allait quelquefois sous le feu de la bataille chercher des blessés – il fut lui-même blessé deux fois. Une balle lui traversa le bras et je me souviens que 10 ans après il nous montrait encore ses cicatrices, l’endroit où la balle était entrée et ressortie.
Profitant des accalmies, du repos sommaire dans les tranchées, il fit de nombreux dessins et aquarelles représentant ses camarades, leurs lieux de vie et aussi les maisons éventrées, les villages détruits.
La guerre terminée, il vint habiter avec sa mère veuve et sa sœur. Quand celle ci mourut en 1919, il resta le seul soutien de sa mère. Il travaillait toujours sa peinture en restant disponible pour les soins de sa mère qui avait de plus en plus de mal à se déplacer. Son frère Raoul était marié.
Habitant Paris, 23 rue Mayet dans le 6e arrondissement, une des pièces de l’appartement lui servait d’atelier.
Grâce à des amis communs, la famille Gatty, il rencontre Elisabeth Gautier, une jeune fille qui faisait aussi de la peinture (elle avait été elève de l’aquarelliste Dauphin), dans une vente de charité.
Ils se marièrent le 10 mai 1927 à Saint-Leu-la-Forêt, Seine et Oise (à ce moment là). Ils partirent en voyage de noces en Auvergne, région que ni l’un ni l’autre ne connaissait. Il nous reste des vues des églises de Saint-Nectaire et Royat.
Peu de temps après ma naissance (1928), ils firent un séjour en Bretagne à Trégastel, je ne me souviens de rien (!) mais des aquarelles de plage avec des rochers me donnent une idee de cette région ou je ne suis jamais encore retourné.
1930, mon père, Bertrand de Champeaux achète une maison à Pont l’Evêque (Calvados). Ce sera une maison. de vacances. Il possède toujours celle de Villemomble, mais elle est louee depuis plusieurs années.
C’est de là qu’il va sillonner la campagne et les villes avoisinantes, Lisieux, Honfleur, Orbec où son frere Raoul avec sa femme et leur fille Monique viennent régulièremen!en vacances. Il va partout en bicyclette, s’installe sur la place des villages, représentant sur le papier les vieilles rues, vieilles maisons, cytises et aussi prairies, vaches s’abreuvant dans la Touques. Tout le monde le connaît.
Mon père avait un cousin, chef de bureau à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur, qui l’encouragea à venir travailler avec lui dans l’administration. «Tu ne peux pas avec une famille rester dans l’incertitude de la vente de tes tableaux’’.C’est ainsi qu’il devint fonctionnaire mais sans délaisser sa peinture.
Lorsque nous habitions encore Paris (avant de revenir à Villemomble en septembre 1937), mon père allait souvent avec des panneaux d’exposition participer à la ‘’Foire aux croûtes’’ sur les boulevards où il tentait de vendre certaines de ses œuvres. Il allait aussi copier des tableaux au Musée du Louvre. Nous avons encore deux reproductions de la Joconde. Dès que son travail à la Grande Chancellerie le lui permettait, il passait son temps à peindre dans son atelier, tant rue Mayet à Paris qu’à Villemomble.
C’était un bricoleur aussi bien en maçonnerie, jardinage, menuiserie. La seule chose qu’il regrettait de ne pas savoir faire, c’était les soudures sur les tuyaux d’eau, nous avions souvent des problèmes dus au gel.
1940, nous quittons Villemomble pour Pont l’Evêque, c’est au mois de mai, cela avance seulement nos vacances.
Notre père reste pour son travail à Paris. Mais le 9 juin 1940 alors, qu’il était chez lui à Villemomble, c’était un dimanche, il reçoit l’ordre par télégramme à 16h30 de se rendre immédiatement à son lieu de travail, départ le soir même pour Saint-Avertin (Tours), ils y restent quatre jours. Puis il quitte la Touraine avec ses collègues de bureau pour les Landes à Hossegor. Et le voyage dure plusieurs jours dans un wagon de marchandises. Là, notre père reste une dizaine de jours sans aucune nouvelle de sa famille (nous) restée à Pont l’Evêque ou partie on ne sait où. Son envie de dessiner le reprend. Il a remarqué une tour de clocher sur-montée d’une sorte de lanterne de phare. Il est à peine installé qu’un garde cham-pêtre le prie de le suivre. Heureusement qu’il a pu joindre ses collègues qui sont venus dire qu ‘il n’était pas un espion reproduisant un poste d’observation, ce qu’était devenue cette tour !
Après Hossegor, ce fut Barèges où il put faire de nombreuses aquarelles. (J ‘ai un cahier manuscrit de mon père qui relate tous ces épisodes mouvementés de juin- juillet 40).
La vie reprend à Villemomble où nous nous retrouvons tous.
Pendant la période d’occupation, le plus gros souci est de trouver du ravitaillement. Pas question d’aller à Pont l’Evêque, notre maison est réquisitionnée par la ville pour loger des religieuses chassées de leur hôpital par les allemands qui l’uti-lisent.
1942. nous partons pour les vacances chez des amis de la famille en Charente, un mois à bien manger dans une ferme. Notre père découvre de nouveaux paysages. Maman va même jusqu’à donner des cours d’aquarelle aux enfants de la maison. Nous retournons dans cette région l’année suivante. (En dehors des vacances, les bords de Marne, le plateau d’Avron furent dessinés).
1946, vacances dans le Doubs à Busy, près de Besançon. Puis, suivant les années, la Bretagne, Saint-Cast, La Baule, Le Pouliguen, et l’Oise en 1950, Saint- Omer-en-Chaussee.
Quand mon père fut à la retraite, mes parents firent plusieurs séjours à la Berlugane, propriété appartenant au ministère de la Justice, située à Beaulieu-sur-Mer (Alpes Maritimes). Là, il put revoir les paysages de sa Jeunesse d’avant 1914 et les peindre encore.
Notre père partit le premier, le 7 août 1962 et notre mère le rejoignit le 23 février 1982.
Mes parents m’avaient donné un frère et deux sœurs : mon frère Daniel, prêtre, a desservi les paroisses de Montreuil (St-Andre), Gagny (Ste-Therèse), Livry (Notre- Dame) et actuellement Neuilly-sur-Marne (St-Baudile), ma sœur Françoise – Mme Richard – a hérité des talents de son père, donne des leçons d’aquarelle et expose régulièrement, même au Japon.
En cette année 1996, onze petits-enfants peuvent regarder avec étonnement les vues d’une guerre qui peu à peu s’oublierait, et avec ferveur tant de souvenirs d’heures heureuses.
René de Champeaux
Article paru en 1997 dans le bulletin n°26. SHRPA.