
Un article signé René, son fils
Transcription du texte
Depuis quarante ans environ, notre Société a bénéficié de ses relations amicales avec la famille De Champeaux (voir l’épisode de la croix de Villemomble dans l’encadré). “Bénéficié” aussi par le prêt de nombreuses œuvres sur la Région dessinées ou peintes par Mr Bertrand de Champeaux, oeuvres qui servirent à embellir des expositions, à illustrer des articles. Nous avons donc pensé qu ‘il était normal et nécessaire d’imprimer les quelques souvenirs qui suivent.
C’est son fils ainé, M.René de Champeaux, qui a bien voulu acquiescer à notre demande. Nous l’en remercions.
JJAB
Ses parents :
Jacques Françoi René de Champeaux, né le 28 août 1844 à Paris, décédé le 23 décembre 1913 à Villefranche-sur-Mer, était avocat.
Hélène Juliette Victoire Joseph Caulliez, née en 1857, décédée le 26 avril 1926 à Paris. Mariés le 11 octobre 1880. Ils vivaient à Paris mais achetèrent une maison avec terrain de 2160 m2 à Villemomble, 8, allée Duportal, en 1884, ce qui faisait partie du lotissement des bois royaux. Cette maison était une résidence d’été, néanmoins, René de Champeaux se fit inscrire sur la liste éléctorale de Villemomble en 1888. Ils eurent 4 enfants :
Raoul (1882 – 1969) né et mort à Paris, fut violoniste.
Bertrand (1885 – 1962), né à Paris, mort à Villemomble.
Hélène (1891 – 1919), née et morte à Paris (tuberculose suite aux privations de la guerre).
René (4 juin 1896 – 13 juillet 1916), né à Villemomble mort pour la France à Verdun.
Raoul et Bertrand firent Jeurs études au collège de Juilly (Seine-et-Marne). Leurs parents étaient installés à Villemomble et mon grand-père se rendait chaque jour à Paris par le train qu’il prenait à la halte des Coquetiers. Il y avait peu de voyageurs et le train ne s’arrêtait que s’il y avait quelqu’un sur le quai. Quand il faisait nuit les matins d’hiver, il fallait faire signe au mécanicien en masquant alternativement la lumière de l’éclairage du quai avec son chapeau.
Pour la vie de tous les jours, les commerçants passaient. Le centre de Villemomble était loin des Coquetiers. Pour se rendre à la messe le dimanche à Saint Louis, mes grands-parents louaient une voiture à cheval qui devait l’hiver affronter la boue du mauvais chemin. En 1893, il était plus facile d’aller à la messe à Paris par le train, l’église Saint-Laurent étant proche de la gare de l’Est.
Ma grand’mère était originaire de Tourcoing. Ses sœurs, plus âgées qu’elle, étaient mariées à des industriels du textile ou des négociants en laine. Bertrand allait souvent faire des séjours chez ses tantes à Tourcoing ou même en Belgique où l’une d’entre elles avait une maison à Blankenberghe. Cela lui donna l’idée d’entrer dans une école des filatures . Il n’y resta que peu de temps se rendant compte que les places intéressantes dans cette branche étaient déjà prises ou réservées pour des membres de la famille.
Je ne sais pas ce qui l’orienta vers le dessin et la peinture. Il se forma dans les ‘académies’ du quartier Montparnasse à Paris pour acquérir la pratique du dessin . Peut-être aussi l’école des Beaux-Arts. Il se lança lui-même dans l’aquarelle puis dans la peinture à l’huile.
Il eut un emploi chez un marchand de tableaux – mais n’y resta pas – son père écrivit à ce patron pour se plaindre du faible salaire de son fils.
Il fit de nombreux paysages des environs de Villemomble, du Raincy, Coubron, Montfermeil, Chelles, Bondy. La bicyclette était son moyen de transport. Il exposa plusieurs fois au Salon à Paris. Mes grands-parents avaient pris l’habitude en 1908 de se rendre chaque hiver quelques mois à Villefranche-sur-Mer dans un appartement qu’ils louaient. Bertrand les y accompagnait et fit de nombreuses aquarelles de la région.
Il s’intéressait aussi à la photographie et était un des rares amateurs de l’époque.
Villefranche abritait dans sa rade des navires de guerre.
Les petits chemins de fer de Provence qui desservaient toute la région, lui permirrent de visiter les jolis villages qui entourent Nice, Bar-sur- Loup, Saint-Jeannet.
En février 1911, son jeune frère René, alors pensionnaire au collège Saint François de Sales d’Evreux, lui écrivait pour lui demander s’il était satisfait de sa peinture, s’il allait exposer au Salon, irait-il dans le Midi?
12 janvier 1912, sa mère invite Bertrand à venir rejoindre ses parents à Villefranche pour peindre des paysages et faire un portrait d’une amie.
Bertrand fit son service militaire au camp de Mourmelon près de Châlons-sur Marne: dans le Génie. Quand arriva la guerre en 1914, il ne fut pas dans les premiers a être mobilisé ; étant myope, il n’était pas dans le service armé.
Quelques temps après, il fut appelé au service de Santé et affecté au secours des blessés comme brancardier secouriste – il allait quelquefois sous le feu de la bataille chercher des blessés – il fut lui-même blessé deux fois. Une balle lui traversa le bras et je me souviens que 10 ans après il nous montrait encore ses cicatrices, l’endroit où la balle était entrée et ressortie.
Profitant des accalmies, du repos sommaire dans les tranchées, il fit de nombreux dessins et aquarelles représentant ses camarades, leurs lieux de vie et aussi les maisons éventrées, les villages détruits.
La guerre terminée, il vint habiter avec sa mère veuve et sa sœur. Quand celle ci mourut en 1919, il resta le seul soutien de sa mère. Il travaillait toujours sa peinture en restant disponible pour les soins de sa mère qui avait de plus en plus de mal à se déplacer. Son frère Raoul était marié.
Habitant Paris, 23 rue Mayet dans le 6e arrondissement, une des pièces de l’appartement lui servait d’atelier.
Grâce à des amis communs, la famille Gatty, il rencontre Elisabeth Gautier, une jeune fille qui faisait aussi de la peinture (elle avait été elève de l’aquarelliste Dauphin), dans une vente de charité.
Ils se marièrent le 10 mai 1927 à Saint-Leu-la-Forêt, Seine et Oise (à ce moment là). Ils partirent en voyage de noces en Auvergne, région que ni l’un ni l’autre ne connaissait. Il nous reste des vues des églises de Saint-Nectaire et Royat.
Peu de temps après ma naissance (1928), ils firent un séjour en Bretagne à Trégastel, je ne me souviens de rien (!) mais des aquarelles de plage avec des rochers me donnent une idee de cette région ou je ne suis jamais encore retourné.
1930, mon père, Bertrand de Champeaux achète une maison à Pont l’Evêque (Calvados). Ce sera une maison. de vacances. Il possède toujours celle de Villemomble, mais elle est louee depuis plusieurs années.
C’est de là qu’il va sillonner la campagne et les villes avoisinantes, Lisieux, Honfleur, Orbec où son frere Raoul avec sa femme et leur fille Monique viennent régulièremen!en vacances. Il va partout en bicyclette, s’installe sur la place des villages, représentant sur le papier les vieilles rues, vieilles maisons, cytises et aussi prairies, vaches s’abreuvant dans la Touques. Tout le monde le connaît.
Mon père avait un cousin, chef de bureau à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur, qui l’encouragea à venir travailler avec lui dans l’administration. «Tu ne peux pas avec une famille rester dans l’incertitude de la vente de tes tableaux’’.C’est ainsi qu’il devint fonctionnaire mais sans délaisser sa peinture.
Lorsque nous habitions encore Paris (avant de revenir à Villemomble en septembre 1937), mon père allait souvent avec des panneaux d’exposition participer à la ‘’Foire aux croûtes’’ sur les boulevards où il tentait de vendre certaines de ses œuvres. Il allait aussi copier des tableaux au Musée du Louvre. Nous avons encore deux reproductions de la Joconde. Dès que son travail à la Grande Chancellerie le lui permettait, il passait son temps à peindre dans son atelier, tant rue Mayet à Paris qu’à Villemomble.
C’était un bricoleur aussi bien en maçonnerie, jardinage, menuiserie. La seule chose qu’il regrettait de ne pas savoir faire, c’était les soudures sur les tuyaux d’eau, nous avions souvent des problèmes dus au gel.
1940, nous quittons Villemomble pour Pont l’Evêque, c’est au mois de mai, cela avance seulement nos vacances.
Notre père reste pour son travail à Paris. Mais le 9 juin 1940 alors, qu’il était chez lui à Villemomble, c’était un dimanche, il reçoit l’ordre par télégramme à 16h30 de se rendre immédiatement à son lieu de travail, départ le soir même pour Saint-Avertin (Tours), ils y restent quatre jours. Puis il quitte la Touraine avec ses collègues de bureau pour les Landes à Hossegor. Et le voyage dure plusieurs jours dans un wagon de marchandises. Là, notre père reste une dizaine de jours sans aucune nouvelle de sa famille (nous) restée à Pont l’Evêque ou partie on ne sait où. Son envie de dessiner le reprend. Il a remarqué une tour de clocher sur-montée d’une sorte de lanterne de phare. Il est à peine installé qu’un garde cham-pêtre le prie de le suivre. Heureusement qu’il a pu joindre ses collègues qui sont venus dire qu ‘il n’était pas un espion reproduisant un poste d’observation, ce qu’était devenue cette tour !
Après Hossegor, ce fut Barèges où il put faire de nombreuses aquarelles. (J ‘ai un cahier manuscrit de mon père qui relate tous ces épisodes mouvementés de juin- juillet 40).
La vie reprend à Villemomble où nous nous retrouvons tous.
Pendant la période d’occupation, le plus gros souci est de trouver du ravitaillement. Pas question d’aller à Pont l’Evêque, notre maison est réquisitionnée par la ville pour loger des religieuses chassées de leur hôpital par les allemands qui l’uti-lisent.
1942. nous partons pour les vacances chez des amis de la famille en Charente, un mois à bien manger dans une ferme. Notre père découvre de nouveaux paysages. Maman va même jusqu’à donner des cours d’aquarelle aux enfants de la maison. Nous retournons dans cette région l’année suivante. (En dehors des vacances, les bords de Marne, le plateau d’Avron furent dessinés).
1946, vacances dans le Doubs à Busy, près de Besançon. Puis, suivant les années, la Bretagne, Saint-Cast, La Baule, Le Pouliguen, et l’Oise en 1950, Saint- Omer-en-Chaussee.
Quand mon père fut à la retraite, mes parents firent plusieurs séjours à la Berlugane, propriété appartenant au ministère de la Justice, située à Beaulieu-sur-Mer (Alpes Maritimes). Là, il put revoir les paysages de sa Jeunesse d’avant 1914 et les peindre encore.
Notre père partit le premier, le 7 août 1962 et notre mère le rejoignit le 23 février 1982.
Mes parents m’avaient donné un frère et deux sœurs : mon frère Daniel, prêtre, a desservi les paroisses de Montreuil (St-Andre), Gagny (Ste-Therèse), Livry (Notre- Dame) et actuellement Neuilly-sur-Marne (St-Baudile), ma sœur Françoise – Mme Richard – a hérité des talents de son père, donne des leçons d’aquarelle et expose régulièrement, même au Japon.
En cette année 1996, onze petits-enfants peuvent regarder avec étonnement les vues d’une guerre qui peu à peu s’oublierait, et avec ferveur tant de souvenirs d’heures heureuses.
René de Champeaux
Article paru en 1997 dans le bulletin n°26. SHRPA.
Juilly, les études
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VOIR L'ARTICLE COMPLETLe journal d’Hélène, sa mère

Journal d’Hélène, sa mère


Plantation d’arbres aux Confins.

Le puit des Confins a 11m50 de profondeur.

Raoul, qui est aux Confins dit en apprenant qu’il a un petit frère, Bertrand : « Eh bien ! Il faut le jeter à la mare ! »

Bertrand a aujourd’hui 5 mois, il pèse 12 livres.

Démolition de la toiture des Confins et une partie du 1er étage. « La maison n’est composée que de plâtre et de bois. »

Mr. Jabally fait les plans de la maison.

J’ai acheté un joli manteau bleu marine pour Bertrand. Il a une petite fourrure comme une petite femme. Ce manteau lui va à ravir.

Raoul a des reparties très drôles pour son âge. Ce matin pendant le déjeuner il disait ; je vais bien manger pour devenir grand. Car quand je serai grand, Papa sera vieux. Et quand ton papa sera vieux, qu’est ce que tu feras pour lui ? Quand Papa sera vieux, eh bien ! Je l’enterrerai !

Nous allons nous promener au pont des Coquetiers, promenade favorite de Raoul. Là, nous trouvons un troupeau de moutons. Il y avait de si jolis petits agneaux que j’en aurais volontiers acheté un.

Il a tant plu qu’il ya 25cm d’eau dans la cave des Confins.

Raoul ne veut pas faire sa prière, sa mère le gronde et le fouette.

Nous allons à Vincennes par le chemin de fer de ceinture. Nous ne rentrons qu’à minuit et nous avons encore la terreur de suivre cette longue avenue Magne (plus tard Gallieni ?) dans le silence profond de la nuit.

Raoul est très curieux en questions de géographie. Hier, je lui disais que la Terre était ronde et qu’elle tournait. Aussi, tout à l’heure, il me dit d’un air réflechi : « Tu sais maman, j’ai beau regarder je ne la vois pas tourner ».

103 pots de confiture cette année.

Raoul a été privé de dessert parce qu’il a été trop gourmand pendant le repas. Cet après midi il m’a répondu Zut ! Parce ce que je lui défendais d’aller à la cuisine. Je l’ai mis à genoux dans un coin et il a dit 20 fois » je ne dirais plus de vilaines choses à Maman ! ».

J’ai été conduire Blanchette (la chèvre) dans la prairie.

René (son mari) m’inquiète par son découragement. Ses affaires ne vont pas, sa santé est mauvaise, il tousse toujours et il est miné par l’insuccès.

On entend crier dans les rues la mort de l’empereur Guillaume d’Allemagne.

Il est question de démolir la maison. Les planchers sont pourris.

Déménagement des Confins vers la Prairie, pour reconstruire les Confins.

La maison des Confins avance beaucoup. Les parquets du deuxième étage sont posés. Nous allons avoir une superbe maison bien confortable.

Raoul prend des leçons de violon et de piano. Il fait des progrès surprenant en violon.

Raoul, qui a 8 ans, joue du violon devant les Bertinot, émerveillés, il joue si bien !

Il a fait si froid tous ces jours derniers que la Seine est entièrement gelée.

Première leçon de violon pour Raoul par Mr Parvy. Il joue l’Ave Maria de Gounod.

La jolie petite fille va bien, et ne demande qu’à vivre.

Je mets pour la première fois à mon bébé chéri des chaussons et des bas avec un linge en guise de culotte. Elle est gentille à croquer ainsi et gigot tout à son aise. Cet après midi elle dort un peu dans le bois (ils sont donc aux Confins).

Bertrand est si gentil, il fait déjà des conquêtes. Il y a des dames qui passent sur le chemin (qui deviendra l’allée Gambetta), qui lui font mille amitiés. Elles l’embrassent au travers de la grille et l’appelent leur chéri. En effet, c’est un charmant enfant doux et sage, et si intelligent.

Raoul a complètement déchiré son tablier rouge. Aussi je le gronde fort et je lui fais écrire le verbe déchirer ses vêtements. Son professeur vient à son tour et lui donne le verbe rire pendant la classe. Il n’a pas été sage le pauvre gamin. C’est une fameuse journée pour lui !

Raoul a aujourd’hui 9 ans ! Quel grand garçon ! Il est bien gentil. C’est dommage qu’il soit si paresseux…Sa paresse va nous mettre dans la nécessité de la mettre en pension l’année prochaine.

Bertrand tousse et je ne fais pas venir le médecin parce qu’il commanderait des médicaments et nous n’avons pas d’argent pour les payer… Je n’ai plus ni savon, ni eau de Cologne. Mes souliers sont percés, il n’y a plus de charbon de terre, ni pommes de terre dans la maison… Quelle misère noire ! Si René (son mari) retombait malade je devrais aller au Mont de Piété !

Bertrand souffre de l’estomac. Sa mère lui donne un peu d’eau de vie. Il a 6 ans.

Raoul est en pension à Juilly. Le surveillant du collège, Mr l’Abbé Marie, le fouette à nu.

Description du caractère de Raoul par sa mère : » Raoul est un moulin à paroles, un inventeur fini et un mouvement perpétuel ».

Pour les grandes manoeuvres, deux soldats viennent coucher aux Confins. On tue 2 lapins pour le dîner.

Il est question de mettre Raoul et Bertrand en pension à Nîmes.

Raoul est envoyé trois jours au collège de Juilly pour le punir.

Rentrée au collège de Juilly pour Raoul et Bertrand : départ à la gare Raincy-Pavillons. Puis train à Sevran.

On va chercher de l’eau à la fontaine municipale.

Pour aller à la messe, il faut passer le passage à niveau.

Raoul a 25 ans, Bertrand 23 ans, Hélène 16 ans et René 12 ans. Ils sont en vacances d’hiver à Villefranche-sur-Mer, mais Raoul est resté à Paris et vient de temps en temps dans le Midi.

À Villefranche-sur-Mer, le Père Paulin nous prêche sur les péchés mortels, la justice et la colère de Dieu. Il nous parle trop peu de sa bonté.

Bertrand est un heureux garçon qui prend la vie du bon côté.

Bertrand a tout à fait envie de se mettre au dessin. Il espère trouver sa voie dans la réparation (restauration ?) des tableaux.

Bertrand suit les cours de dessin à l’académie Julian.

Nous allons à Meaux par le chemin de fer, les enfants à bicyclette. Nous avons parcouru la ville dans tous les sens et admiré ses moulins et magasins de farine sur l’eau, ses vieux moulins sur pilotis sur la Marne, puis la cathédrale…

En Octobre, il est question, sur les conseils du Père Havret, de mettre René au collège à Evreux, mais sa mère veut le garder car il est « son rayon de soleil ».

Départ de René pour le collège d’Evreux, par le train.

René (son mari) souffre d’une congestion pulmonaire.

Retour aux Confins (à cette époque ils habitent rue Mayet).

Distribution (remise) des Prix de René à Evreux.

René va en Angleterre par Le Havre. Bertrand l’accompagne.

Les Chemins de fer payent 7599 francs les 303m de terrain pris.

Bertrand porte un paquet de fruits à Mme Pinondel qui le gratifiera comme toujours d’un bon verre de petit vin blanc qui lui fera voir tout en rose… Nous allons voir le nouveau pont de Coquetiers.

René (fils) va au Salon de l’Automne, au Grand Palais. Il y a une exposition de tableaux cubistes « des paysages et des personnages faits en cubes ». On ne sait au juste ce que l’on voit dans ces tableaux.

Départ pour Villefranche-sur-Mer par le train, dans la nuit. Escale à Marseille à l’Hôtel Terminus. Reprise d’un train le lendemain, arrivée à Villefranche le midi, accueillis par leurs amis.

En note après le 31 décembre. Ils sont à Villefranche dans un nouvel appartement de l’ancienne gendarmerie, en location.

Raoul a 30 ans et il est appelé Kop.
Bertrand a 27 ans et il est appelé Tran.
Hélène a 21 ans et est appelée Minette, puis Bellotte.
René a 16 ans, il est appelé Néné pour le distinguer de son père.

René (père) meurt, dans la nuit du 23.

J’ai un peu sermonné et grondé Bertrand qui s’endort dans son marasme. Ce n’est pas raisonnable qu’il n’aille plus peindre au Louvre, qu’il vive ici sans jamais bouger ni parler à personne. Il vit comme un chartreux sans désir ni ambition. Il cherche sur des cartes postales des sujets de petits tableaux mais cela ne suffit pas, il faut travailler plus énergiquement.

René se prépare à passer son baccalauréat.

Bertrand passe un grand examen de dessin pour devenir professeur de la Ville de Paris.

Bertrand a échoué au concours des professeurs.

Retour à Paris depuis Evreux, René passe son baccalauréat à La Sorbonne le 21.

Premier jour d’examen de René. Nous sommes dans une fièvre inexprimable. Version et devoir de français. Demain ce sera les sciences.

Deuxième jour d’examen ! René n’est pas très content de son examen de mathématiques.

René prépare son oral.

René est admissible à l’écrit mais échoue à l’oral. Il est tombé sur de mauvais examinateurs qui n’ont vu en lui qu’un élève d’une école libre, bon à pressurer.

Séjour en vacances à St Valéry-en-Caux avec Raoul et René. Raoul joue du violon au casino.

Excursion à Fecamp par le train. Au port il y avait des bateaux arrivant de Terre-Neuve, qui déchargeaient des milliers de morues. C’était très curieux et intéressant à voir.

Nous allons conduire René à Dieppe pour qu’il prenne ce soir le bateau pour Londres (séjour chez Mistress Cooke).

Retour de René d’Angleterre. Il a une mine superbe, très engraissé, très entrain.

René travaille avec courage dans sa chambre. Il a fait du latin ce matin avec son père il s’étonne de trouver en lui un bon latiniste.

Visite de Nadine (Donnat) avec son mari Henri Bourgoin, qui nous a paru très gentil et affectueux avec sa femme, qui l’appelle Chéri, et qui paraît très heureuse d’être mariée.

René passe à La Sorbonne son oral du baccalauréat. Il est reçu et donc bachelier de rhétorique. Il reste donc avec nous pour la Toussaint.

Jour de notre départ pour Villefranche-sur-Mer. Nuit d’étape à Marseille. René est malade dans la nuit. Douleur au côté et fièvre.

René (son mari) souffre au côté et le médecin dit que cette douleur provient du coeur.

Raoul s’occupera de l’achat de l’achat d’un terrain au cimetière de Vaugirard.

Inhumation au cimetière Vaugirard. Le caveau est bien fait, mais c’est si creux, c’est un vrai puit.

Dans l’hiver 1914 et au printemps, Hélène (fille) tousse beaucoup.

Hélène me tourmente beaucoup car depuis notre retour à Paris elle ne cesse de tousser, elle a mauvaise mine et mange à peine. Elle manifeste sont désir d’indépendance.

Le père Delfortrie m’a blessée sans le vouloir. il me demande ce que je vais faire de Hélène, si je ne vais pas songer à lui faire tirer partie de son talent en piano, elle s’est assez dévouée à ses parents et il est remps qu’elle songe à elle.

L’adresse des Confins est Allée Duportal (plus tard, Allée Gambetta).

Bertrand me considère comme un obstacle à la réussite de ses affaires.

L’ouvrier qui grave l’inscription au cimetière allait mettre un « E » à Villefranche-sur-MèrE ». Mon pauvre René en aurait frémi dans sa tombe.

René a réussi son examen à La Sorbonne, écrit et oral. Il est bachelier en rhétorique et en philosophie. Il vient d’avoir 18 ans le 4 juin.

Les nouvelles politiques sont excessivement graves. Il paraît que la guerre est déclarée entre l’Autriche et la Serbie. Ce sera bientôt un conflit général. La France, amie et alliée de la Russie se prépare à rentrer en guerre. Mais en attendant la panique est en France. Tous les bureaux de caisse d’épargne sont assiégés par la foule des gens qui viennent chercher leur argent. René dit qu’il s’engagera…Hélène dit qu’elle va me conduire dans le Nord pour avoir sa liberté et s’en aller avec La Croix Rouge, soigner les blessés.

On parle de la guerre européenne. La France va mobiliser son armée.
LA GUERRE EST DÉCLARÉE…On mobilise.
Hier soir, un fou a ASSASSINÉ JAURÈS dans un restaurant de la rue Montmartre…Jaurès était l’espoir de la paix et de l’antimilitarisme.

AH ! Maudite Allemagne ! Les trains passent toutes les 5 minutes, devant les Confins, bondés de soldats. On leur crie « Vive la France ! À Berlin !«

Raoul a gardé le pont des Coquetiers de 8h à minuit, René a pris sa place de 4h à 8h… Il paraît que nous sommes entourés d’espions allemands.

Réquisition des chevaux du pays.

Mes enfants sont réformés, mais il ne sont pas contents, cela les humilie beaucoup de ne pouvoir servir la patrie.

René veut que je signe une autorisation pour qu’il s’engage. Je n’y suis pas du tout disposée.

La foule vient au pont des Coquetiers pour voir passer les trains de blessés, qui ralentissent. On leur donne des bouteilles de vin, des pots de limonade, des fruits.

Les allemands avancent terriblement.
Hier un aéroplane a volé au dessus de Paris et a lancé des bombes.

On dit que les Allemands sont à Meaux.

La canon a grondé toute la journée. Le pays est plein de soldats.

L’ennemi s’éloigne de Paris.

Nous apprenons aujourd’hui que la cathédrale de Reims est en flammes…

Gertrude (allemande) vient demander l’hospitalité aux Confins. Espérons que ce n’est pas une espionne. Nous la gardons quelques jours.

Mort d’Henri Bourgoin (époux « tendre » de Nadine Donnat, décrit le 28/09/1913). Tué au combat.

Gertrude s’en va… En bons termes avec nous. (Gertrude avait élevée Madeleine jeune).

Le Grand Palais est converti en hôpital militaire.

Conseil de révision pour Bertrand. Il est trouvé bon pour le service armé.

Nous nous occupons ce matin des envois de douceurs pour le Noël des soldats.

Les Allemands envahissent nos villes de Roubaix et Tourcoing.

Raoul passe ce matin son Conseil de Révision, et, Dieu merci, on ne le prend pas pour le service actif comme son frère Bertrand. On le met dans les auxiliaires.

Bertrand est encore avec nous. René a reçu ce matin son appel pour le conseil de révision le 8 janvier.

Bertrand a reçu son appel ce matin. Il doit partir le 19 pour Chaumont, dans la Haute-Marne.

Raoul est accepté à la Légion d’Honneur comme auxiliaire.

L’épouse d’Henri Barbry, Hélène, arrive avec ses quatre enfants aux Confins car les allemands occupent le Nord.

Pierre Génu vient d’être tué d’une balle dans la tête.

Madeleine (fille de Guillaume) fait une scène à Héléne (fille) à cause de ses cours de médecine qu’elle prend pour secourir les blessés. Elle dit que ce n’est pas convenable pour une jeune fille.

Bertrand est au front. Il est tringlot et conduit des chevaux d’un point à l’autre.

Des Zeppelins sont passés au-dessus de Paris et ont jeté des bombes à Vaugirard, à Batignolles. Tout Paris était en révolution…Malheureusement les aviateurs étaient en vacances et n’ont pas fait une chasse suffisante à ces ennemis.

René a reçu sa matin sa feuille de route pour le 21. Il va à Montargis.

Finalement René est convoqué tout de suite boulevard Brune, dans un bureau militaire. Là, on lui a dit qu’il était reçu à son examen d’élève officier et qu’il devait partir aujourd’hui pour se faire équiper à Montargis.

René quitte Montargis pour Saint-Cyr.

Convocation au commissariat de police du 6ème pour « éclairage et fenêtre éclairée ». C’est à cause de la soirée de Raoul avec son ancien professeur d’anglais. Finalement tous s’est bien passé au commissariat. Il faut fermer les volets dès qu’arrive la nuit. C’est une mesure de prudence contre les Zeppelins.

Nous allons à la messe de 8h avec Raoul. Au retour nous avons un grande joie. Nous voyons un gentil et très jeune militaire qui s’avance vers nous, et nous reconnaissons René. Ah ! Comme il a bonne mine, comme il est joli, frais et rose dans son uniforme bleu horizon !

Raoul est convoqué à la caserne de la Tour Maubourg. Il est pris pour le service armé.

Raoul a dormi sur une paillasse dure et mince sur le parquet d’une chambre où ils sont nombreux et bruyants…Vraiment on est pas humain à la caserne.

Avec Raoul et René qui est venu passer le dimanche avec nous, nous allons au cinéma. On y voit des bateaux de guerre aux Dardanelles, agités par la tempête en pleine mer, et, c’était curieux d’entendre les observations saugrenues de nos voisins qui certainement n’en avaient jamais vu en réalité et qui disaient : « pourquoi les fait-on bouger comme cela ? ».

Reçu lettre de Bertrand qui entre dans un bataillon pour aller au feu bientôt.

Il est à Divion dans le Pas-de-Calais.

Nouvelles pitoyables de Bertrand qui est dans les tranchées. C’est un véritable enfer.

Raoul est muté dans l’artillerie à Creil. Mais il revient de temps en temps à Paris, rue Mayet.

Lettre de Bertrand qui a passé 4 nuits et 3 jours dans les tranchées au nord d’Arras. Violents combats, très meurtriers. Il y a de grosses pertes pour tous.

Nous envoyons de la poudre contre les poux des tranchées à Bertrand, dont le pauvre garçon se plaint beaucoup.

Raoul est à Bourges et vient à Paris le 5 juillet. Il apporte une lettre de Bertrand. Sur le dos de l’enveloppe est écrit, d’une main étrangère « légèrement blessé au bras droit. Suis évacué ».

Enfin j’ai appris que mon fils Bertrand est à Quimper à l’hôpital..Nous allons le voir. Il faut aller à la mairie pour obtenir demi tarif sur le prix du voyage comme mère et soeur de blessé.

Voyage pour Quimper dans un compartiment bourré de militaires. Nous n’avons pas pu dormir.

Arrivée à l’hôpital St Yves où le Major très bourru nous permet de voir notre cher blessé. Le pauvre enfant a la bras complètement traversé par un éclat d’obus qui l’a atteint aussi à la cuisse. Hélène et moi restons à Quimper jusqu’au 22.

La famille Barbry qui logeait aux Confins s’en va pour Paris, rue d’Assas, après 5 mois de présence.

Bertrand arrive jusqu’au 18 Août.

René arrive. Il a échoué à son examen et n’est que sergent. Il vient pour 8 jours à Villemomble.

Raoul est piqué contre le choléra pour aller aux Dardanelles. Nous retournons donc le soir même à Paris, rue Mayet, pour le retrouver.

Raoul part pour les Dardanelles, faire de la manutention.

Le courrier de ce matin m’apporte une pénible nouvelle ; mon pauvre petit René est parti au front hier matin. Il s’en va en Argonne du côté du Four de Paris.

Nouvelles de Raoul, arrivé à Mudros. Il a eu une terrible tempête.

Nouvelles de René, il est du côté de Vaucouleurs.

Le gendre de mon amie Gabrielle est Commandant et revient du front. Il en a assez de la guerre. Il a vu des choses atroces. Il a vécu dans la tranchée…infectée de vermines et de rats, souris, par millions. On devait les chasser de son visage comme des mouches car la nuit les rats courent sur les figurer endormies des poilus.

J’apprends que Raoul a la jaunisse.

Cette horrible guerre qui n’en finit pas me désole…Je pense à mes pauvres garçons…à Raoul malade à Mondros. J’espère que Bertrand court moins de risques en étant brancardier et infirmier en ce moment. Mais où est mon petit René ? Il m’a écrit le 29 décembre qu’il est tout près d’aller dans les tranchées. Pour l’instant il apprend à monter à cheval.

L’enfant Joseph Toulemonde, fils de Edouard et Léonie, visitant les Invalides avec Hélène (fille), devant le tombeau de Napoléon, demande : « il est mort à la guerre ? ».

Bertrand arrive en permission du fond de la Lorraine (20h de route). Il est en bon état physique.

Raoul, soldat, vient d’arriver à Toulon pour cause d’anémie. Il est à l’hôpital.

Reçu lettre de René qui vient de passer 4 jours dans une tranchée de 1ère ligne. Il a eu bien froid, a été bien mouillé et privé de sommeil.

Paul de Bure vient d’avoir la Croix de guerre.

C’est épouvantable ce qu’il se passe à Verdun, c’est une véritable boucherie…jamais aucun combat n’a égalé celui là.

À Marseille, où il est en convalescence, Raoul travaille dans une usine d’huile comme ouvrier. Il trempe ses mains et ses bras dans de la graisse solide, comme du miel, ou porte des bidons d’huile de 25 litres. C’est trop lourd !

Presque tous les jours arrive la nouvelle de la mort d’un proche à la guerre.

Les nouvelles de la guerre sont mauvaises. Le fort de Vaux est perdu !

On parle de révolution.

La grande offensive est commencée, du côté de la Somme. Les Anglais marchent bien, ils vont dans les tranchées allemandes, ils les asphyxient et font des prisonniers.

Lettre codée de René :
« À Verdun rive droite avant 8 jours. »

J’apprends par l’oncle Guillaume qui vient me voir que Bertrand a écrit à son oncle pour lui dire que mon RENÉ BIEN AIMÉ EST MORT.

Nous sommes réveillés cette nuit par l’arrivée de Bertrand. On sonne à minuit…Il a vu la tombe à Dugny, à l’ambulance.

Raoul arrive ce matin aux Confins (pour les obsèques de René).

Les obsèques de René se feront à l’église St-Thomas d’Equin, où il a fait sa première communion.

Bertrand repart à la guerre et Raoul à Marseille le 26.

Bertrand a reçu une lettre du fossoyeur de Dugny qui lui a dit que René a été mis dans un cercueil. Il lui envoie sa photo.

Convocation à la mairie du 6ème pour avertir de la mort de René. « On ne se dérange plus pour prévenir les familles ! ».
Nous assistons à la messe de notre pauvre petit René, à 10h à St Thomas d’Equin…Il y avait 44 personnes, dont le Père Havret, le Père Delefortrie. Bertrand est présent.

Lettre de Bertrand aux tranchées :
« Voici la Toussaint qui vient raviver encore…nos tristes souvenirs. C’est le temps où nos morts dans leurs tombeaux espèrent nos visites et nos fleurs car tous les jours nous les pleurons dans nos coeurs où nous leur avons dressé un autel. La tombe de Papa doit être bien fleurie ! L’autre tombe, mon souvenir attendri l’évoque au milieu de tant d’autres, bien alignées comme des lits dans un dortoir de pensionnat. Sans doute, on a fauché les blés qui les environnaient, et bien peu de fleurs cette année prêterons la grâce de leur sourire au champ où dort une armée.
Ma chère Maman, unissons-nous tous, et tressons de nos prières et de nos bonnes intentions une couronne qui sera plus éclatante que les chrysanthèmes, et d’une odeur plus suave et plus agréable au coeur de notre cher petit disparu ».

Raoul quitte Nice pour Créteil. Il ira ensuite à Boulogne-sur-Seine pour préparer son instruction comme conducteur d’automobile ou conducteur de camions de guerre.

Visite de Bertrand, maigri et fatigué.

Bertrand repart à l’armée par la gare de l’Est.

Il y a 6 mois que mon bien-aimé René est mort ! Son ami le sous-lieutenant Babault vient nous voir et nous dit que René a eu les jambes brisées et le ventre ouvert par un éclat d’obus. Il a eu ses vêtements déchirés, ses lunettes brisées dans ses Yeux. Il a du avoir un oeil crevé. Son camarade a vu couler son sans le long de sa joue.

Le Père Benier, aumônier militaire, vient nous voir et nous dit que René n’a pas eu les yeux crevés. Le sang sur les joues venait d’égratignures.

Bertrand écrit qu’il a -17° dans son baraquement. Le pain est gelé. Le vin de la messe gèle.

Quel horrible froid ! Nous ne pouvons plus allumer de feu car nous n’avons plus de charbon…un vieux bonhomme vient nous scier 7 bûches.

Grâce à nos bûches nous réussissons à avoir 10° dans la salle à manger où nous nous réunissons.

La vie devient de plus en plus difficile. On ne trouve plus à manger dans Paris. Tous les légumes sont gelés, la viande rare.

Raoul est dans l’Aisne. Il a été au front près de Reims. Il conduit des tracteurs conduisant des canons de marine.

Il y a juste 0° ce matin. Il fait moins froid, mais Hélène à la grippe !

Lettre de Bertrand qui raconte toutes les souffrances qu’il a endurées dans les tranchées de Champagne. Enlisement dans la boue, enlisement dans sa sape, un obus étant tombé sur les marches…Ils ont été enterrés vivants pendant une nuit et un jour, mais ont réussi à dégager l’entrée. Ils ont dû se préserver des gaz asphyxiants envoyés par les obus. Bertrand a eu des camarades qui sont devenus fous. Il a souffert de la faim, de la soif, du 11 au 19 mars.

Surprise ! Raoul arrive en permission le 5 mai. Nous allons à la messe à Villemomble. Nous allons dire bonjour à Mr le curé. Le nom de René a été écrit en lettres d’or sur des plaques de marbre dans l’église. Il n’est donc pas oublié dans ce petit pays où il est né…

6h du matin, Bertrand arrive aussi en permission ! Mais Raoul doit partir à 9h…
Bertrand est intarissable de détails sur sa triste vie à la tranchée, et sur les dangers courus.

Bertrand nous arrive vers 10h aux Confins, bien maigri. Il vient pour 8 jours. Il est déprimé et fatigué de cette vie de guerre. Ce qu’il nous raconte me glace de terreur pour l’avenir.

Mon cher pensionnaire est bien content de la bonne nuit qu’il a passé dans son lit, la première déshabillé et couché sur un matelas depuis 3 mois.

Bertrand nous dit qu’au milieu des combats il tremble à claquer des dents.

Nous allons après le repas nous asseoir au potager pour voir passer les trains. Bertrand a aujourd’hui 32 ans !

Nous avons reçu ce matin une bonne lettre de notre cher Bertrand qui nous apprend qu’il a enfin obtenu une citation avec la Croix de guerre. Raoul quitte la Belgique.

Bertrand nous arrive en congés pour 14 jours.

Dans l’année 1917, j’ai fait 152 pots de confitures et 4 flacons de pêches et de poires.

Paris est couvert de neige.

C’est aujourd’hui que commence la carte de pain. Chacun n’a droit qu’à 300gr de pain par jour.

Explosion formidable. Une usine de munitions qui saute à La Courneuve.

Il y a de plus en plus d’alertes et de bombardements le jour et la nuit. Les allemands ont percé le front, ils ont repris Bapaume, Péronne. Tout ce qu’on leur avait (re)pris depuis 1916. Les troupes françaises vont au secours des Anglais. C’est une vraie boucherie là-bas !

Une bombe est tombée sur St Gervais et a fait 70 morts et 90 blessés, à 3h de l’après midi. Ce matin le bombardement recommence à 7h30. Le premier obus est tombé rue Falguière, rue de Babylone. La mort rôde autour de nous. Raoul colle des papiers aux fenêtres (rue Mayet).

Raid de Gothas à 3h du matin.

Tout le monde quitte Paris en masse.

Nous partons pour Bernède par la gare d’Orsay. Arrivée à Montauban à 9h du matin. Correspondance pour Valence-d’Agen et Bernède. La Garonne déborde. Un vrai château à l’aspect seigneurial (ils sont chez leurs amis Faure).

Bertrand a été blessé le 6 juin au Mont Kemmel, d’un éclat d’obus. Il est à l’hôpital de Bourbourg-Nord.

Bertrand quitte Bourbourg pour St Brieuc : 45h de voyage. Il est guéri.

Bertrand vient à Bernède. Il dessine le château.

Retour à Paris par le train.

Retour de Bertrand à la guerre, mais le médecin dit qu’il est indisponible, sa jambe n’est pas vraiment remise.

Gilbert, blessé, est dans un hôpital à Pontoise.

Bertrand est retourné au front, mais en tant qu’infirmier. Il est dans les voitures de l’arrière et soigne les blessés. Il dit que le canon fait rage.

« Les allemands se replient et se sauvent de partout. Mais ils tuent encore beaucoup des nôtres. »

Epidemie de grippe. On meurt en foule. Cela dégénère en pneumonie. À Pavillons il y a eu trois enterrements dans la semaine.

Lille est délivrée, Ostende et Douai aux mains des Anglais.

Louis de Segovia, (soldat proche de la famille) a été blessé aux yeux.

L’ARMISTICE A ÉTÉ SIGNÉE À 6H DU MATIN.
Les hostilités ont été suspendues à 11h. Aussi à cette heure solennelle le canon a tonné et on a sonné les cloches dans toute la France. Nous allons Place de la Concorde où la joie, l’enthousiasme sont indescriptibles.

Lettre de Raoul :
« Ma chère Maman, Noël ! Noël ! Comme disent les Américains ! Grande nouvelle ! La date du 11 novembre restera à jamais gravée dans nos mémoires et sera l’une des plus grandes dates de l’histoire du monde. Le plus puissant adversaire que la terre ait porté, ce colosse gigantesque et terrible est noyé à nos pieds…Espérons que ce sera la dernière guerre de long temps. »

Mon cher Bertrand arrive ce matin à 9h30. Quel bonheur de le revoir ! Congé de 22 jours…Il a encore le genou raide et enflé.

Bertrand écrit qu’il est à l’hôpital à Epinal. Il a dû avoir beaucoup de fièvre car le médecin-chef l’a fait mettre à l’hôpital avant que son régiment ne soit dissout.

C’est triste de parcourir Les Halles car c’est la famine en France, et bientôt peut être la révolution. Ah ! Nous n’avons pas une victoire ni gaie ni brillante ! Il faut malgré tout pleurer nos morts !

Raoul est démobilisé.

Hélène est toute fièvreuse. Sa santé me tourmente.

Nous allons pour la première fois chez le Dr. Allard pour les rayons X d’Hélène.

Un médecin appelé parle pour la première fois de tuberculose, et ordonne de la suralimentation.

Hélène souffre d’une violente douleur au côté.

Le Dr. craint une pleurésie. Ponctions. On lui fait prendre 2 pilules d’opium pour dormir. Cela l’a calmée. Plusieurs médecins la visitent.

Le Dr. dit qu’elle n’est pas du tout sauvée… Qu’elle doit devenir tuberculeuse, c’est une suite inévitable de la pleurésie.

Signature de la Paix. Les Allemands acceptent nos conditions.

Départ d’Hélène en voiture-ambulance pour le sanatorium de Châtillon.

Du 20 août du 3 septembre 1919, Hélène va faire un séjour à Tourcoing chez sa soeur Maria. Bertrand est avec elle.

Jacques Donnat propose une place à Bertrand dans la Légion d’Honneur.
Il y a un peu lutte entre les deux médecins; Artault qui dirige la maison de Châtillon, et Piquet médecin à Paris. Le sanatorium n’est pas chauffé en octobre. Hélène perd ses forces de jour en jour.
Hélène dit qu’elle envisage la mort avec sérénité. Elle me dit qu’elle n’en a pas peur, mais que cela l’ennuie à cause de la perturbation que cela amènera dans notre vie.

Le Dr. Artault est plein de suffisance et dit qu’elle n’est pas en danger.

« Oh, Ma chérie, tu as froid ! Souffres-tu ? Dis moi ce que tu as ? »
Hélas, plus de réponse…Elle est morte. Je bondis hors de la chambre, en appelant mes deux fils. « Mes enfants, venez vite, votre petite sœur est morte. » Ah ! Quel réveil pour tous les deux.

Enterrement à St François Xavier, à 9h.

La Seine déborde. On peut craindre une grande inondation comme en 1910.

Raoul rêve d’acheter un appareil pour sa bicyclette qui la transformerait en motocyclette.

Raoul a joué du violon à une messe d’enterrement à St François Xavier. Ce soir il joue dans un bal.

L’Allemagne est en pleine révolution. Le parti militaire a renversé le régime républicain. Ils voudraient faire revenir leur Kaiser.

Grève générale à Paris, bagarres et morts dans les quartiers de la Bastille et de la Gare de l’Est.

Visite avec Bertrand au musée Rodin, dans l’ancienne chapelle du couvent du Sacré-Coeur.

Nous nous mettons en route pour notre grand voyage à Dugny (près de Verdun). Nous traversons la Champagne, Epernay, Châlons, etc. Nous arrivons à Verdun à midi. Nous allons déjeuner dans une oeuvre pour les familles éprouvées. Nous visitons toute la ville.

Nuit dans une auberge à Dugny. Mr. le curé nous a conduit au cimetière, et sur la tombe de notre cher petit martyr. Ce matin il a dit la messe pour lui. Visite des champs de bataille en autocar.

Grand jour de fête pour toute la France. On fête le cinquantenaire de la République, et l’anniversaire de l’Armistice. il y a aujourd’hui beaucoup de cérémonies touchantes car on veut glorifier les héros morts pour la patrie, et on a amené à Paris un poilu mort inconnu, qu’on promène dans toute la capitale. On va l’enterrer sous l’Arc de triomphe, tandis qu’on promène le coeur de Gambetta pour le déposer plus tard au Panthéon. Il y a aussi des cérémonies à Notre-Dame, et le gouvernement s’y est fait représenté. La foule est grave et recueillie.

Raoul organise souvent des « concerts » privés, dans l’appartement de la rue Mayet à Paris.

J’ai fait 132 pots de confiture cette année.

Hélène vit avec ses deux fils, rue Mayet, Paris 6ème. Raoul est violoniste, Bertrand est peintre, et en même temps employé à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur.

Mr. le curé de Dugny me prévient que les exhumations doivent commencer le 20 juin. Elles doivent 10 jours, à raison de 90 exhumations par jour. Le retour de mon bien aimé petit René est donc imminente.

L’exhumation de mon cher René se fera le 26 Juin.

Mariage civil de Raoul et Madeleine.

Mariage à l’église St Clothilde. Madeleine paraît toue heureuse.

21h : départ des mariés en voyage de noces, à Quimper.

Départ d’Hélène et Bertrand pour Dugny. Arrivée par le train vers midi à Verdun.

Nuit à Dugny. Après midi au cimetière auprès de la tombe chérie. J’y ai dit mon Rosaire. Bertrand y a fait une aquarelle. Visite à Mme Bodeau, la châtelaine du Prieuré où notre René est mort.

Exhumation. Bertrand y assiste. Il a revu les restes glorieux de son frère chéri, a vu ses blessures, une jambe cassée en deux endroits, son corps était à moitié couvert de son linge et de sa capote en lambeaux, ses bras croisés. À l’un des poignets il a repris la médaille d’identité où l’on pouvait encore lire son nom et régiment. Bertrand a retrouvé sa propre plaque, qu’il avait donné au fossoyeur, en 1916, pour clouer sur son cercueil.
Retour à Verdun, le jour-même. Nuit à l’hôtel de la Cloche d’or, puis train pour Paris.

Hélène quitte la rue Mayet pour habiter aux Confins avec Bertrand, et laisser ainsi l’appartement au ménage de Raoul.

Nous recevons ce matin un avis que le corps de notre cher René est arrivé à Paris et que l’on a mis au dépôt des pompes funèbres, rue Aubervilliers.

Bertrand m’emmène peindre l’abbaye de Livry. Il a fait un joli tableau à l’huile. Pauvre abbaye dévastée. Malgré ses ruines, le parc avec ses étangs est toujours une merveille.

Raoul apprend à sa femme à aller en bicyclette. Il court auprès d’elle pour la préserver d’une chute. Ceci à Villemomble.

Raoul a loué une chambre à l’hôtel avec Madeleine, Hélène revient avec Bertrand dans l’appartement de la rue Mayet.

Je vais avec Bertrand entendre au Trocadéro « Le Messie » de Haendel. Raoul y joue.

Départ pour Bar par le train P.L.M. Arrivée à Marseille à 22h. Un jour et 2 nuits à Marseille, puis le train pour Grasse, puis auto pour Bar…Ce pays ressemble beaucoup à Eze.

Bertrand est allé porter 4 aquarelles à une exposition des blessés de guerre aux Invalides. On lui a offert 75frs pour 9 aquarelles en plus des 4 autres encadrées.

Bertrand vend dans la matinée pour 36frs d’aquarelles à la foire aux croutes à Montmartre. IL est très content.

Je remercie le ciel qui m’a donné un bon Bertrand, un ange consolateur qui veille tant sur sa pauvre mère si infirme.

Madeleine a eu ce matin à 4h une belle petite fille, que l’on va nommer Monique. La mère et l’enfant vont bien. Naissance à la clinique rue Violet.

Nous allons voir le cher bébé qui est une miniature d’enfant, 6livres70.

Nous allons chez les Chuamien entendre un concert par la télégraphie sans fil de la Tour Eiffel. C’est très curieux…voilà un plaisir qu’on ne connaissait pas autrefois, entendre chez soi des concerts !

Hélène est de plus en plus infirme. Elle ne peut plus descendre seule les escaliers des Confins.

Bertrand m’emmène au cinéma voir le 1er chapitre des Misérables de Victor Hugo.

Bertrand a vendu pour 1425frs de tableaux à la foire aux croutes Bd St Germain. Il a vendu 62 œuvres.

Je souffre cruellement et ne peux marcher.

Visite de Monique, qui marche seule.

J’ai des troubles dans les yeux. Je n’y vois plus rien.

Le Dr. Kollitsh, fils, se figure que mes douleurs sciatiques sont occasionnées par une tumeur, un fibrome, que j’aurais dans le ventre, et qui appuierait sur le nerf sciatique. Il voudrait me visiter mais je refuse énergiquement. Ce n’est pas à mon âge que l’on se laisse visiter par de jeunes blancs becs comme lui.

Ce journal s’arrête le Mardi 13 avril 1926 et Hélène meurt le 26 avril 1926 à l’âge de 69 ans.
Elle est inhumée au cimetière de Vaugirard où se trouvent déjà les restes de son mari René et de ses enfants René et Hélène.



Le livret scolaire
Rue Mayet
En construction
Hélène vit avec ses deux fils, rue Mayet, Paris 6ème. Raoul est violoniste, Bertrand est peintre, et en même temps employé à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur.
1 janvier 1922
Le journal d’Hélène
Hélène quitte la rue Mayet pour habiter aux Confins avec Bertrand, et laisser ainsi l’appartement au ménage de Raoul.
3 juillet 1922
Le journal d’Hélène
Raoul a loué une chambre à l’hôtel avec Madeleine, Hélène revient avec Bertrand dans l’appartement de la rue Mayet.
24 octobre 1922
Le journal d’Hélène

Le portrait trouvé
Avril 2017. Trois mois que je scrute le net, à la recherche d’informations. Ce que je sais à ce jour, c’est peu. J’en connais à ce moment davantage sur René qu’à propos de Bertrand […].
Bertrand

Naissance de Bertrand

Bertrand a aujourd’hui 5 mois, il pèse 12 livres.

J’ai acheté un joli manteau bleu marine pour Bertrand. Il a une petite fourrure comme une petite femme. Ce manteau lui va à ravir.

Bertrand est si gentil, il fait déjà des conquêtes. Il y a des dames qui passent sur le chemin (qui deviendra l’allée Gambetta), qui lui font mille amitiés. Elles l’embrassent au travers de la grille et l’appelent leur chéri. En effet, c’est un charmant enfant doux et sage, et si intelligent.

Bertrand tousse et je ne fais pas venir le médecin parce qu’il commanderait des médicaments et nous n’avons pas d’argent pour les payer… Je n’ai plus ni savon, ni eau de Cologne. Mes souliers sont percés, il n’y a plus de charbon de terre, ni pommes de terre dans la maison… Quelle misère noire ! Si René (son mari) retombait malade je devrais aller au Mont de Piété !

Bertrand souffre de l’estomac. Sa mère lui donne un peu d’eau de vie. Il a 6 ans.

Il est question de mettre Raoul et Bertrand en pension à Nîmes.

Rentrée au collège de Juilly pour Raoul et Bertrand : départ à la gare Raincy-Pavillons. Puis train à Sevran.
Bertrand, matricule 65101.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est classé dans les services auxiliaires. Incorporé au 3ème Régiment du Génie.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est reformé par la commission spéciale du camp de Châlons, pour tuberculose pulmonaire.

Raoul a 25 ans, Bertrand 23 ans, Hélène 16 ans et René 12 ans. Ils sont en vacances d’hiver à Villefranche-sur-Mer, mais Raoul est resté à Paris et vient de temps en temps dans le Midi.

Bertrand est un heureux garçon qui prend la vie du bon côté.

Bertrand a tout à fait envie de se mettre au dessin. Il espère trouver sa voie dans la réparation (restauration ?) des tableaux.

Bertrand suit les cours de dessin à l’académie Julian.

René va en Angleterre par Le Havre. Bertrand l’accompagne.

Bertrand porte un paquet de fruits à Mme Pinondel qui le gratifiera comme toujours d’un bon verre de petit vin blanc qui lui fera voir tout en rose… Nous allons voir le nouveau pont de Coquetiers.

Raoul a 30 ans et il est appelé Kop.
Bertrand a 27 ans et il est appelé Tran.
Hélène a 21 ans et est appelée Minette, puis Bellotte.
René a 16 ans, il est appelé Néné pour le distinguer de son père.

J’ai un peu sermonné et grondé Bertrand qui s’endort dans son marasme. Ce n’est pas raisonnable qu’il n’aille plus peindre au Louvre, qu’il vive ici sans jamais bouger ni parler à personne. Il vit comme un chartreux sans désir ni ambition. Il cherche sur des cartes postales des sujets de petits tableaux mais cela ne suffit pas, il faut travailler plus énergiquement.

Bertrand passe un grand examen de dessin pour devenir professeur de la Ville de Paris.

Bertrand a échoué au concours des professeurs.

Bertrand me considère comme un obstacle à la réussite de ses affaires.

Mes enfants sont réformés, mais il ne sont pas contents, cela les humilie beaucoup de ne pouvoir servir la patrie.

Conseil de révision pour Bertrand. Il est trouvé bon pour le service armé.

Nous nous occupons ce matin des envois de douceurs pour le Noël des soldats.

Raoul passe ce matin son Conseil de Révision, et, Dieu merci, on ne le prend pas pour le service actif comme son frère Bertrand. On le met dans les auxiliaires.

Bertrand est encore avec nous. René a reçu ce matin son appel pour le conseil de révision le 8 janvier.
Caserne de Chaumont, Haute-Marne


Bertrand a reçu son appel ce matin. Il doit partir le 19 pour Chaumont, dans la Haute-Marne.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand rejoint le 109ᵉ R.I.

Bertrand est au front. Il est tringlot et conduit des chevaux d’un point à l’autre.

Reçu lettre de Bertrand qui entre dans un bataillon pour aller au feu bientôt.
Le 109ᵉ R.I. à Divion, Pas-de-Calais


Il est à Divion dans le Pas-de-Calais.

Nouvelles pitoyables de Bertrand qui est dans les tranchées. C’est un véritable enfer.
Le 109ᵉ R.I. à Olhain, Pas-de-Calais

Le 109ᵉ R.I. à Notre-Dame-de-Lorette, Pas-de-Calais

Le 109ᵉ R.I. en Artois, Pas-de-Calais


Lettre de Bertrand qui a passé 4 nuits et 3 jours dans les tranchées au nord d’Arras. Violents combats, très meurtriers. Il y a de grosses pertes pour tous.

Nous envoyons de la poudre contre les poux des tranchées à Bertrand, dont le pauvre garçon se plaint beaucoup.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est blessé à Notre-Dame-de-Lorette. Plaie avant-bras droit par éclat d’obus. Non évacué.

Raoul est à Bourges et vient à Paris le 5 juillet. Il apporte une lettre de Bertrand. Sur le dos de l’enveloppe est écrit, d’une main étrangère « légèrement blessé au bras droit. Suis évacué ».

Enfin j’ai appris que mon fils Bertrand est à Quimper à l’hôpital..Nous allons le voir. Il faut aller à la mairie pour obtenir demi tarif sur le prix du voyage comme mère et soeur de blessé.

Voyage pour Quimper dans un compartiment bourré de militaires. Nous n’avons pas pu dormir.

Arrivée à l’hôpital St Yves où le Major très bourru nous permet de voir notre cher blessé. Le pauvre enfant a la bras complètement traversé par un éclat d’obus qui l’a atteint aussi à la cuisse. Hélène et moi restons à Quimper jusqu’au 22.

Bertrand arrive jusqu’au 18 Août.
Le 109ᵉ R.I. à Mignéville, Meurthe-et-Moselle

Le 109ᵉ R.I. à Merviller, Meurthe-et-Moselle

Le 109ᵉ R.I. à Domjevin, Meurthe-et-Moselle

À Ancerviller, Meurthe-et-Moselle


Cette horrible guerre qui n’en finit pas me désole…Je pense à mes pauvres garçons…à Raoul malade à Mondros. J’espère que Bertrand court moins de risques en étant brancardier et infirmier en ce moment. Mais où est mon petit René ? Il m’a écrit le 29 décembre qu’il est tout près d’aller dans les tranchées. Pour l’instant il apprend à monter à cheval.
Le 109ᵉ R.I. à Reherrey, Meurthe-et-Moselle


Bertrand arrive en permission du fond de la Lorraine (20h de route). Il est en bon état physique.
Le 109ᵉ R.I. à Belrain, Meuse

Le 109ᵉ R.I. au Bois Banal, Marne

Le 109ᵉ R.I. aux Creutes de Centaures

Extrait fiche matricule 65101

Bertrand passe du 109ᵉ au 217ᵉ Régiment d’Infanterie.
À Dombasle-sur-Meurthe

Le 217ᵉ R.I., carrières de Dugny, Meuse

Le 217ᵉ R.I. au camp d’Haudainville, Meuse


J’apprends par l’oncle Guillaume qui vient me voir que Bertrand a écrit à son oncle pour lui dire que mon RENÉ BIEN AIMÉ EST MORT.

Nous sommes réveillés cette nuit par l’arrivée de Bertrand. On sonne à minuit…Il a vu la tombe à Dugny, à l’ambulance.

Bertrand repart à la guerre et Raoul à Marseille le 26.

Bertrand a reçu une lettre du fossoyeur de Dugny qui lui a dit que René a été mis dans un cercueil. Il lui envoie sa photo.
Nous assistons à la messe de notre pauvre petit René, à 10h à St Thomas d’Equin…Il y avait 44 personnes, dont le Père Havret, le Père Delefortrie. Bertrand est présent.

Lettre de Bertrand aux tranchées :
« Voici la Toussaint qui vient raviver encore…nos tristes souvenirs. C’est le temps où nos morts dans leurs tombeaux espèrent nos visites et nos fleurs car tous les jours nous les pleurons dans nos coeurs où nous leur avons dressé un autel. La tombe de Papa doit être bien fleurie ! L’autre tombe, mon souvenir attendri l’évoque au milieu de tant d’autres, bien alignées comme des lits dans un dortoir de pensionnat. Sans doute, on a fauché les blés qui les environnaient, et bien peu de fleurs cette année prêterons la grâce de leur sourire au champ où dort une armée.
Ma chère Maman, unissons-nous tous, et tressons de nos prières et de nos bonnes intentions une couronne qui sera plus éclatante que les chrysanthèmes, et d’une odeur plus suave et plus agréable au coeur de notre cher petit disparu ».
Le 217ᵉ R.I. à Clermont-en-Argonne, Meuse


Visite de Bertrand, maigri et fatigué.

Bertrand repart à l’armée par la gare de l’Est.
Le 217ᵉ R.I. à La Cheppe, Marne

Le 217ᵉ R.I. à La Noblette, Bois Bourrus, Meuse

Le 217ᵉ R.I., convoi, de Verdun vers Mort-Homme


Bertrand écrit qu’il a -17° dans son baraquement. Le pain est gelé. Le vin de la messe gèle.
Le 217ᵉ R.I. à Laheycourt, Meuse

À Chaudefontaine, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Valmy, Champagne


Lettre de Bertrand qui raconte toutes les souffrances qu’il a endurées dans les tranchées de Champagne. Enlisement dans la boue, enlisement dans sa sape, un obus étant tombé sur les marches…Ils ont été enterrés vivants pendant une nuit et un jour, mais ont réussi à dégager l’entrée. Ils ont dû se préserver des gaz asphyxiants envoyés par les obus. Bertrand a eu des camarades qui sont devenus fous. Il a souffert de la faim, de la soif, du 11 au 19 mars.
À Vienne-la-Ville

Le 217ᵉ R.I. au Four de Paris, Argonne, Meuse

Le 217ᵉ R.I. à La Fontaine Ferdinand, La Seigneurie, Champagne

Le 217ᵉ R.I., boyau des Champs Elysées, Four de Paris


6h du matin, Bertrand arrive aussi en permission ! Mais Raoul doit partir à 9h…
Bertrand est intarissable de détails sur sa triste vie à la tranchée, et sur les dangers courus.
Le 217ᵉ R.I., marche, Four de Paris

Le 217ᵉ R.I. au camp de Chalons

Le 217ᵉ R.I. au Bois Raquette, Marne

Le 217ᵉ R.I. , cantonnement à Auberive, Champagne

Le 217ᵉ R.I. à Violaine, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Châlons le Vergeur, Marne


Bertrand nous arrive vers 10h aux Confins, bien maigri. Il vient pour 8 jours. Il est déprimé et fatigué de cette vie de guerre. Ce qu’il nous raconte me glace de terreur pour l’avenir.

Mon cher pensionnaire est bien content de la bonne nuit qu’il a passé dans son lit, la première déshabillé et couché sur un matelas depuis 3 mois.

Bertrand nous dit qu’au milieu des combats il tremble à claquer des dents.
Extrait fiche matricule 65101

Ordre de Régiment, n°271, du 8 septembre 1917.
Le 5 septembre 1917, a fait preuve de courage et de dévouement en allant à 2 reprises, sous un violent bombardement par engins de tranchée, soigner en 1ère ligne des blessés qu’il a immédiatement transportés au poste de secours. Croix de Guerre. Etoile en bronze.

Nous allons après le repas nous asseoir au potager pour voir passer les trains. Bertrand a aujourd’hui 32 ans !

Nous avons reçu ce matin une bonne lettre de notre cher Bertrand qui nous apprend qu’il a enfin obtenu une citation avec la Croix de guerre. Raoul quitte la Belgique.
Le 217ᵉ R.I. , convoi en Marne

Le 217ᵉ R.I. à Ablain St Martin


Bertrand nous arrive en congés pour 14 jours.
Le 217ᵉ R.I. au camp A

Le 217ᵉ R.I., à Vienne-la-Ville

Le 217ᵉ R.I. à Pévy, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Bouvancourt, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Gernicourt, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Guyencourt, Aisne

Le 217ᵉ R.I. à Blanzy, Aisne

Le 217ᵉ R.I. à Vasseny, Aisne

À Chavigny, Meurthe-et-Moselle

Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est blessé au Mont-Rouge (Mont Kemmel). Blessure au genou gauche.

Bertrand a été blessé le 6 juin au Mont Kemmel, d’un éclat d’obus. Il est à l’hôpital de Bourbourg-Nord.

Bertrand quitte Bourbourg pour St Brieuc : 45h de voyage. Il est guéri.

Bertrand vient à Bernède. Il dessine le château.

Retour de Bertrand à la guerre, mais le médecin dit qu’il est indisponible, sa jambe n’est pas vraiment remise.
Le 217ᵉ R.I. au camp du Soumiat, St Menehould

Le 217ᵉ R.I. à Berzieux, Marne


Bertrand est retourné au front, mais en tant qu’infirmier. Il est dans les voitures de l’arrière et soigne les blessés. Il dit que le canon fait rage.
Le 217ᵉ R.I., Vacqueville, La Chapelotte, Pierre Percée, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Mouron, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Grandham, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Condé-les-Autry, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. au camp des Hauts Bâtis, Vienne-la-Ville, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Séchault, Ardennes


Mon cher Bertrand arrive ce matin à 9h30. Quel bonheur de le revoir ! Congé de 22 jours…Il a encore le genou raide et enflé.
Le 217ᵉ R.I. à Artzenheim, Alsace


Bertrand écrit qu’il est à l’hôpital à Epinal. Il a dû avoir beaucoup de fièvre car le médecin-chef l’a fait mettre à l’hôpital avant que son régiment ne soit dissout.

Du 20 août du 3 septembre 1919, Hélène va faire un séjour à Tourcoing chez sa soeur Maria. Bertrand est avec elle.

Jacques Donnat propose une place à Bertrand dans la Légion d’Honneur.

« Oh, Ma chérie, tu as froid ! Souffres-tu ? Dis moi ce que tu as ? »
Hélas, plus de réponse…Elle est morte. Je bondis hors de la chambre, en appelant mes deux fils. « Mes enfants, venez vite, votre petite sœur est morte. » Ah ! Quel réveil pour tous les deux.

Enterrement à St François Xavier, à 9h.

Nous nous mettons en route pour notre grand voyage à Dugny (près de Verdun). Nous traversons la Champagne, Epernay, Châlons, etc. Nous arrivons à Verdun à midi. Nous allons déjeuner dans une oeuvre pour les familles éprouvées. Nous visitons toute la ville.

Nuit dans une auberge à Dugny. Mr. le curé nous a conduit au cimetière, et sur la tombe de notre cher petit martyr. Ce matin il a dit la messe pour lui. Visite des champs de bataille en autocar.

Hélène vit avec ses deux fils, rue Mayet, Paris 6ème. Raoul est violoniste, Bertrand est peintre, et en même temps employé à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur.

Départ d’Hélène et Bertrand pour Dugny. Arrivée par le train vers midi à Verdun.

Nuit à Dugny. Après midi au cimetière auprès de la tombe chérie. J’y ai dit mon Rosaire. Bertrand y a fait une aquarelle. Visite à Mme Bodeau, la châtelaine du Prieuré où notre René est mort.

Exhumation. Bertrand y assiste. Il a revu les restes glorieux de son frère chéri, a vu ses blessures, une jambe cassée en deux endroits, son corps était à moitié couvert de son linge et de sa capote en lambeaux, ses bras croisés. À l’un des poignets il a repris la médaille d’identité où l’on pouvait encore lire son nom et régiment. Bertrand a retrouvé sa propre plaque, qu’il avait donné au fossoyeur, en 1916, pour clouer sur son cercueil.
Retour à Verdun, le jour-même. Nuit à l’hôtel de la Cloche d’or, puis train pour Paris.

Hélène quitte la rue Mayet pour habiter aux Confins avec Bertrand, et laisser ainsi l’appartement au ménage de Raoul.

Bertrand m’emmène peindre l’abbaye de Livry. Il a fait un joli tableau à l’huile. Pauvre abbaye dévastée. Malgré ses ruines, le parc avec ses étangs est toujours une merveille.

Raoul a loué une chambre à l’hôtel avec Madeleine, Hélène revient avec Bertrand dans l’appartement de la rue Mayet.

Je vais avec Bertrand entendre au Trocadéro « Le Messie » de Haendel. Raoul y joue.

Bertrand est allé porter 4 aquarelles à une exposition des blessés de guerre aux Invalides. On lui a offert 75frs pour 9 aquarelles en plus des 4 autres encadrées.

Bertrand vend dans la matinée pour 36frs d’aquarelles à la foire aux croutes à Montmartre. IL est très content.

Je remercie le ciel qui m’a donné un bon Bertrand, un ange consolateur qui veille tant sur sa pauvre mère si infirme.

Nous allons voir le cher bébé qui est une miniature d’enfant, 6livres70.

Nous allons chez les Chuamien entendre un concert par la télégraphie sans fil de la Tour Eiffel. C’est très curieux…voilà un plaisir qu’on ne connaissait pas autrefois, entendre chez soi des concerts !

Hélène est de plus en plus infirme. Elle ne peut plus descendre seule les escaliers des Confins.

Bertrand m’emmène au cinéma voir le 1er chapitre des Misérables de Victor Hugo.

Bertrand a vendu pour 1425frs de tableaux à la foire aux croutes Bd St Germain. Il a vendu 62 œuvres.

Ce journal s’arrête le Mardi 13 avril 1926 et Hélène meurt le 26 avril 1926 à l’âge de 69 ans.
Elle est inhumée au cimetière de Vaugirard où se trouvent déjà les restes de son mari René et de ses enfants René et Hélène.
Mariage de Bertrand et Elisabeth
Saint-Leu-la-Forêt, Val-d’Oise.