Bertrand

Naissance de Bertrand


Bertrand a aujourd’hui 5 mois, il pèse 12 livres.

J’ai acheté un joli manteau bleu marine pour Bertrand. Il a une petite fourrure comme une petite femme. Ce manteau lui va à ravir.

Bertrand est si gentil, il fait déjà des conquêtes. Il y a des dames qui passent sur le chemin (qui deviendra l’allée Gambetta), qui lui font mille amitiés. Elles l’embrassent au travers de la grille et l’appelent leur chéri. En effet, c’est un charmant enfant doux et sage, et si intelligent.

Bertrand tousse et je ne fais pas venir le médecin parce qu’il commanderait des médicaments et nous n’avons pas d’argent pour les payer… Je n’ai plus ni savon, ni eau de Cologne. Mes souliers sont percés, il n’y a plus de charbon de terre, ni pommes de terre dans la maison… Quelle misère noire ! Si René (son mari) retombait malade je devrais aller au Mont de Piété !

Bertrand souffre de l’estomac. Sa mère lui donne un peu d’eau de vie. Il a 6 ans.

Il est question de mettre Raoul et Bertrand en pension à Nîmes.

Rentrée au collège de Juilly pour Raoul et Bertrand : départ à la gare Raincy-Pavillons. Puis train à Sevran.
Bertrand, matricule 65101.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est classé dans les services auxiliaires. Incorporé au 3ème Régiment du Génie.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est reformé par la commission spéciale du camp de Châlons, pour tuberculose pulmonaire.

Raoul a 25 ans, Bertrand 23 ans, Hélène 16 ans et René 12 ans. Ils sont en vacances d’hiver à Villefranche-sur-Mer, mais Raoul est resté à Paris et vient de temps en temps dans le Midi.

Bertrand est un heureux garçon qui prend la vie du bon côté.

Bertrand a tout à fait envie de se mettre au dessin. Il espère trouver sa voie dans la réparation (restauration ?) des tableaux.

Bertrand suit les cours de dessin à l’académie Julian.

René va en Angleterre par Le Havre. Bertrand l’accompagne.

Bertrand porte un paquet de fruits à Mme Pinondel qui le gratifiera comme toujours d’un bon verre de petit vin blanc qui lui fera voir tout en rose… Nous allons voir le nouveau pont de Coquetiers.

Raoul a 30 ans et il est appelé Kop.
Bertrand a 27 ans et il est appelé Tran.
Hélène a 21 ans et est appelée Minette, puis Bellotte.
René a 16 ans, il est appelé Néné pour le distinguer de son père.

J’ai un peu sermonné et grondé Bertrand qui s’endort dans son marasme. Ce n’est pas raisonnable qu’il n’aille plus peindre au Louvre, qu’il vive ici sans jamais bouger ni parler à personne. Il vit comme un chartreux sans désir ni ambition. Il cherche sur des cartes postales des sujets de petits tableaux mais cela ne suffit pas, il faut travailler plus énergiquement.

Bertrand passe un grand examen de dessin pour devenir professeur de la Ville de Paris.

Bertrand a échoué au concours des professeurs.

Bertrand me considère comme un obstacle à la réussite de ses affaires.

Mes enfants sont réformés, mais il ne sont pas contents, cela les humilie beaucoup de ne pouvoir servir la patrie.

Conseil de révision pour Bertrand. Il est trouvé bon pour le service armé.

Nous nous occupons ce matin des envois de douceurs pour le Noël des soldats.

Raoul passe ce matin son Conseil de Révision, et, Dieu merci, on ne le prend pas pour le service actif comme son frère Bertrand. On le met dans les auxiliaires.

Bertrand est encore avec nous. René a reçu ce matin son appel pour le conseil de révision le 8 janvier.
Caserne de Chaumont, Haute-Marne


Bertrand a reçu son appel ce matin. Il doit partir le 19 pour Chaumont, dans la Haute-Marne.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand rejoint le 109ᵉ R.I.

Bertrand est au front. Il est tringlot et conduit des chevaux d’un point à l’autre.

Reçu lettre de Bertrand qui entre dans un bataillon pour aller au feu bientôt.
Le 109ᵉ R.I. à Divion, Pas-de-Calais


Il est à Divion dans le Pas-de-Calais.

Nouvelles pitoyables de Bertrand qui est dans les tranchées. C’est un véritable enfer.
Le 109ᵉ R.I. à Olhain, Pas-de-Calais

Le 109ᵉ R.I. à Notre-Dame-de-Lorette, Pas-de-Calais

Le 109ᵉ R.I. en Artois, Pas-de-Calais


Lettre de Bertrand qui a passé 4 nuits et 3 jours dans les tranchées au nord d’Arras. Violents combats, très meurtriers. Il y a de grosses pertes pour tous.

Nous envoyons de la poudre contre les poux des tranchées à Bertrand, dont le pauvre garçon se plaint beaucoup.
Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est blessé à Notre-Dame-de-Lorette. Plaie avant-bras droit par éclat d’obus. Non évacué.

Raoul est à Bourges et vient à Paris le 5 juillet. Il apporte une lettre de Bertrand. Sur le dos de l’enveloppe est écrit, d’une main étrangère « légèrement blessé au bras droit. Suis évacué ».

Enfin j’ai appris que mon fils Bertrand est à Quimper à l’hôpital..Nous allons le voir. Il faut aller à la mairie pour obtenir demi tarif sur le prix du voyage comme mère et soeur de blessé.

Voyage pour Quimper dans un compartiment bourré de militaires. Nous n’avons pas pu dormir.

Arrivée à l’hôpital St Yves où le Major très bourru nous permet de voir notre cher blessé. Le pauvre enfant a la bras complètement traversé par un éclat d’obus qui l’a atteint aussi à la cuisse. Hélène et moi restons à Quimper jusqu’au 22.

Bertrand arrive jusqu’au 18 Août.
Le 109ᵉ R.I. à Mignéville, Meurthe-et-Moselle

Le 109ᵉ R.I. à Merviller, Meurthe-et-Moselle

Le 109ᵉ R.I. à Domjevin, Meurthe-et-Moselle

À Ancerviller, Meurthe-et-Moselle


Cette horrible guerre qui n’en finit pas me désole…Je pense à mes pauvres garçons…à Raoul malade à Mondros. J’espère que Bertrand court moins de risques en étant brancardier et infirmier en ce moment. Mais où est mon petit René ? Il m’a écrit le 29 décembre qu’il est tout près d’aller dans les tranchées. Pour l’instant il apprend à monter à cheval.
Le 109ᵉ R.I. à Reherrey, Meurthe-et-Moselle


Bertrand arrive en permission du fond de la Lorraine (20h de route). Il est en bon état physique.
Le 109ᵉ R.I. à Belrain, Meuse

Le 109ᵉ R.I. au Bois Banal, Marne

Le 109ᵉ R.I. aux Creutes de Centaures

Extrait fiche matricule 65101

Bertrand passe du 109ᵉ au 217ᵉ Régiment d’Infanterie.
À Dombasle-sur-Meurthe

Le 217ᵉ R.I., carrières de Dugny, Meuse

Le 217ᵉ R.I. au camp d’Haudainville, Meuse


J’apprends par l’oncle Guillaume qui vient me voir que Bertrand a écrit à son oncle pour lui dire que mon RENÉ BIEN AIMÉ EST MORT.

Nous sommes réveillés cette nuit par l’arrivée de Bertrand. On sonne à minuit…Il a vu la tombe à Dugny, à l’ambulance.

Bertrand repart à la guerre et Raoul à Marseille le 26.

Bertrand a reçu une lettre du fossoyeur de Dugny qui lui a dit que René a été mis dans un cercueil. Il lui envoie sa photo.
Nous assistons à la messe de notre pauvre petit René, à 10h à St Thomas d’Equin…Il y avait 44 personnes, dont le Père Havret, le Père Delefortrie. Bertrand est présent.

Lettre de Bertrand aux tranchées :
« Voici la Toussaint qui vient raviver encore…nos tristes souvenirs. C’est le temps où nos morts dans leurs tombeaux espèrent nos visites et nos fleurs car tous les jours nous les pleurons dans nos coeurs où nous leur avons dressé un autel. La tombe de Papa doit être bien fleurie ! L’autre tombe, mon souvenir attendri l’évoque au milieu de tant d’autres, bien alignées comme des lits dans un dortoir de pensionnat. Sans doute, on a fauché les blés qui les environnaient, et bien peu de fleurs cette année prêterons la grâce de leur sourire au champ où dort une armée.
Ma chère Maman, unissons-nous tous, et tressons de nos prières et de nos bonnes intentions une couronne qui sera plus éclatante que les chrysanthèmes, et d’une odeur plus suave et plus agréable au coeur de notre cher petit disparu ».
Le 217ᵉ R.I. à Clermont-en-Argonne, Meuse


Visite de Bertrand, maigri et fatigué.

Bertrand repart à l’armée par la gare de l’Est.
Le 217ᵉ R.I. à La Cheppe, Marne

Le 217ᵉ R.I. à La Noblette, Bois Bourrus, Meuse

Le 217ᵉ R.I., convoi, de Verdun vers Mort-Homme


Bertrand écrit qu’il a -17° dans son baraquement. Le pain est gelé. Le vin de la messe gèle.
Le 217ᵉ R.I. à Laheycourt, Meuse

À Chaudefontaine, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Valmy, Champagne


Lettre de Bertrand qui raconte toutes les souffrances qu’il a endurées dans les tranchées de Champagne. Enlisement dans la boue, enlisement dans sa sape, un obus étant tombé sur les marches…Ils ont été enterrés vivants pendant une nuit et un jour, mais ont réussi à dégager l’entrée. Ils ont dû se préserver des gaz asphyxiants envoyés par les obus. Bertrand a eu des camarades qui sont devenus fous. Il a souffert de la faim, de la soif, du 11 au 19 mars.
À Vienne-la-Ville

Le 217ᵉ R.I. au Four de Paris, Argonne, Meuse

Le 217ᵉ R.I. à La Fontaine Ferdinand, La Seigneurie, Champagne

Le 217ᵉ R.I., boyau des Champs Elysées, Four de Paris


6h du matin, Bertrand arrive aussi en permission ! Mais Raoul doit partir à 9h…
Bertrand est intarissable de détails sur sa triste vie à la tranchée, et sur les dangers courus.
Le 217ᵉ R.I., marche, Four de Paris

Le 217ᵉ R.I. au camp de Chalons

Le 217ᵉ R.I. au Bois Raquette, Marne

Le 217ᵉ R.I. , cantonnement à Auberive, Champagne

Le 217ᵉ R.I. à Violaine, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Châlons le Vergeur, Marne


Bertrand nous arrive vers 10h aux Confins, bien maigri. Il vient pour 8 jours. Il est déprimé et fatigué de cette vie de guerre. Ce qu’il nous raconte me glace de terreur pour l’avenir.

Mon cher pensionnaire est bien content de la bonne nuit qu’il a passé dans son lit, la première déshabillé et couché sur un matelas depuis 3 mois.

Bertrand nous dit qu’au milieu des combats il tremble à claquer des dents.
Extrait fiche matricule 65101

Ordre de Régiment, n°271, du 8 septembre 1917.
Le 5 septembre 1917, a fait preuve de courage et de dévouement en allant à 2 reprises, sous un violent bombardement par engins de tranchée, soigner en 1ère ligne des blessés qu’il a immédiatement transportés au poste de secours. Croix de Guerre. Etoile en bronze.

Nous allons après le repas nous asseoir au potager pour voir passer les trains. Bertrand a aujourd’hui 32 ans !

Nous avons reçu ce matin une bonne lettre de notre cher Bertrand qui nous apprend qu’il a enfin obtenu une citation avec la Croix de guerre. Raoul quitte la Belgique.
Le 217ᵉ R.I. , convoi en Marne

Le 217ᵉ R.I. à Ablain St Martin


Bertrand nous arrive en congés pour 14 jours.
Le 217ᵉ R.I. au camp A

Le 217ᵉ R.I., à Vienne-la-Ville

Le 217ᵉ R.I. à Pévy, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Bouvancourt, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Gernicourt, Marne

Le 217ᵉ R.I. à Guyencourt, Aisne

Le 217ᵉ R.I. à Blanzy, Aisne

Le 217ᵉ R.I. à Vasseny, Aisne

À Chavigny, Meurthe-et-Moselle

Extrait fiche matricule 65101

Bertrand est blessé au Mont-Rouge (Mont Kemmel). Blessure au genou gauche.

Bertrand a été blessé le 6 juin au Mont Kemmel, d’un éclat d’obus. Il est à l’hôpital de Bourbourg-Nord.

Bertrand quitte Bourbourg pour St Brieuc : 45h de voyage. Il est guéri.

Bertrand vient à Bernède. Il dessine le château.

Retour de Bertrand à la guerre, mais le médecin dit qu’il est indisponible, sa jambe n’est pas vraiment remise.
Le 217ᵉ R.I. au camp du Soumiat, St Menehould

Le 217ᵉ R.I. à Berzieux, Marne


Bertrand est retourné au front, mais en tant qu’infirmier. Il est dans les voitures de l’arrière et soigne les blessés. Il dit que le canon fait rage.
Le 217ᵉ R.I., Vacqueville, La Chapelotte, Pierre Percée, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Mouron, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Grandham, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Condé-les-Autry, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. au camp des Hauts Bâtis, Vienne-la-Ville, Ardennes

Le 217ᵉ R.I. à Séchault, Ardennes


Mon cher Bertrand arrive ce matin à 9h30. Quel bonheur de le revoir ! Congé de 22 jours…Il a encore le genou raide et enflé.
Le 217ᵉ R.I. à Artzenheim, Alsace


Bertrand écrit qu’il est à l’hôpital à Epinal. Il a dû avoir beaucoup de fièvre car le médecin-chef l’a fait mettre à l’hôpital avant que son régiment ne soit dissout.

Du 20 août du 3 septembre 1919, Hélène va faire un séjour à Tourcoing chez sa soeur Maria. Bertrand est avec elle.

Jacques Donnat propose une place à Bertrand dans la Légion d’Honneur.

« Oh, Ma chérie, tu as froid ! Souffres-tu ? Dis moi ce que tu as ? »
Hélas, plus de réponse…Elle est morte. Je bondis hors de la chambre, en appelant mes deux fils. « Mes enfants, venez vite, votre petite sœur est morte. » Ah ! Quel réveil pour tous les deux.

Enterrement à St François Xavier, à 9h.

Nous nous mettons en route pour notre grand voyage à Dugny (près de Verdun). Nous traversons la Champagne, Epernay, Châlons, etc. Nous arrivons à Verdun à midi. Nous allons déjeuner dans une oeuvre pour les familles éprouvées. Nous visitons toute la ville.

Nuit dans une auberge à Dugny. Mr. le curé nous a conduit au cimetière, et sur la tombe de notre cher petit martyr. Ce matin il a dit la messe pour lui. Visite des champs de bataille en autocar.

Hélène vit avec ses deux fils, rue Mayet, Paris 6ème. Raoul est violoniste, Bertrand est peintre, et en même temps employé à la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur.

Départ d’Hélène et Bertrand pour Dugny. Arrivée par le train vers midi à Verdun.

Nuit à Dugny. Après midi au cimetière auprès de la tombe chérie. J’y ai dit mon Rosaire. Bertrand y a fait une aquarelle. Visite à Mme Bodeau, la châtelaine du Prieuré où notre René est mort.

Exhumation. Bertrand y assiste. Il a revu les restes glorieux de son frère chéri, a vu ses blessures, une jambe cassée en deux endroits, son corps était à moitié couvert de son linge et de sa capote en lambeaux, ses bras croisés. À l’un des poignets il a repris la médaille d’identité où l’on pouvait encore lire son nom et régiment. Bertrand a retrouvé sa propre plaque, qu’il avait donné au fossoyeur, en 1916, pour clouer sur son cercueil.
Retour à Verdun, le jour-même. Nuit à l’hôtel de la Cloche d’or, puis train pour Paris.

Hélène quitte la rue Mayet pour habiter aux Confins avec Bertrand, et laisser ainsi l’appartement au ménage de Raoul.

Bertrand m’emmène peindre l’abbaye de Livry. Il a fait un joli tableau à l’huile. Pauvre abbaye dévastée. Malgré ses ruines, le parc avec ses étangs est toujours une merveille.

Raoul a loué une chambre à l’hôtel avec Madeleine, Hélène revient avec Bertrand dans l’appartement de la rue Mayet.

Je vais avec Bertrand entendre au Trocadéro « Le Messie » de Haendel. Raoul y joue.

Bertrand est allé porter 4 aquarelles à une exposition des blessés de guerre aux Invalides. On lui a offert 75frs pour 9 aquarelles en plus des 4 autres encadrées.

Bertrand vend dans la matinée pour 36frs d’aquarelles à la foire aux croutes à Montmartre. IL est très content.

Je remercie le ciel qui m’a donné un bon Bertrand, un ange consolateur qui veille tant sur sa pauvre mère si infirme.

Nous allons voir le cher bébé qui est une miniature d’enfant, 6livres70.

Nous allons chez les Chuamien entendre un concert par la télégraphie sans fil de la Tour Eiffel. C’est très curieux…voilà un plaisir qu’on ne connaissait pas autrefois, entendre chez soi des concerts !

Hélène est de plus en plus infirme. Elle ne peut plus descendre seule les escaliers des Confins.

Bertrand m’emmène au cinéma voir le 1er chapitre des Misérables de Victor Hugo.

Bertrand a vendu pour 1425frs de tableaux à la foire aux croutes Bd St Germain. Il a vendu 62 œuvres.

Ce journal s’arrête le Mardi 13 avril 1926 et Hélène meurt le 26 avril 1926 à l’âge de 69 ans.
Elle est inhumée au cimetière de Vaugirard où se trouvent déjà les restes de son mari René et de ses enfants René et Hélène.
Mariage de Bertrand et Elisabeth
Saint-Leu-la-Forêt, Val-d’Oise.
Décès de Bertrand
Décès de Elisabeth, la femme de Bertrand


